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Paris, le 9 novembre / Tribune de Christophe Bouthors, Président de Telamon, parue dans dans le numéro 200 de BIG

Composante du Plan biodiversité en 2018, confirmée en 2020 via la Convention citoyenne sur le climat et adoubée en 2021 par la loi Climat et résilience, le zéro artificialisation nette des sols (ZAN) s’impose en France au risque de mettre en péril le développement économique tout en manquant sa cible. Chronique d’une catastrophe annoncée…

« Chef d’entreprise, développeur de bâtiments pour les entreprises et promoteur résidentiel, citoyen attentif au développement durable, mais aussi père de famille, je suis atterré par la démarche zéro artificialisation nette des sols (ZAN).
Composante du Plan biodiversité en 2018, confirmée en 2020 via la Convention citoyenne sur le climat et adoubée en 2021 par la loi Climat et résilience, la démarche donne sept ans (vs dix précédemment) aux territoires pour réduire de 50 % leur rythme d’artificialisation et de consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers, en vue de l’interdire en 2050.

Motif ? Nous serions pris de troubles compulsifs d’artificialisation effrénée depuis 50 ans.
La mécanique ? Alerter l’opinion en grossissant les traits, quitte à falsifier la réalité : 66 % des surfaces dites artificialisées en France ne sont ni construites ni revêtues : jardins, chantiers, golfs, terrains de football… Le but ? Créer une réaction émotionnelle collective de rejet.
Car l’artificialisation participerait au réchauffement climatique en limitant les espaces naturels capables d’absorber du carbone et à la destruction de la biodiversité. Elle augmenterait aussi les risques d’inondation et créerait des îlots de chaleur.

Et la machine politico- administrative s’emballe…
Il manque un slogan ? Ça sera «zéro artificialisation» auquel on ajoute «nette», reflet du jusqu’au-boutisme du propos. Le législateur fait sienne la démarche et impose une mise en conformité des documents d’urbanisme. La trajectoire, la même pour tous, nie la diversité et les évolutions de nos territoires.
Les élus locaux perdent toute liberté d’action. Convaincus ou démagogues, certains décident de devenir les «meilleurs de la classe» pendant que des fonctionnaires rivalisent d’initiatives coercitives au point que le Premier Ministre Jean Castex a dû, le 7 janvier 2022, rappeler aux préfets que la démarche, avec son objectif 2050, ne signifiait pas l’arrêt de tous les projets d’aménagement ou de construction.

De quoi parle-t-on ?
Selon l’enquête européenne Lucas, le taux 2018 d’artificialisation des sols français (définition Eurostat) était de 5,6 %, très en deçà de celui de nos voisins belges (11,7 %), allemands (7,6 %), italiens (6,6 %) et britanniques (6,4 %). La France est un bon élève. Disons-le ! La capacité d’absorption en CO2 de notre territoire, artificialisé à 5,6 % est- elle en péril ?
L’impact sur la biodiversité ? Partiellement faux. L’espace affecté est celui situé sous le bâti. La biodiversité recréée dans les espaces verts dépasse celle d’un site d’agriculture productiviste. En 2014, une étude Élan pré- et post-livraison d’une de nos plates-formes logistiques a démontré que la faune et la flore des 20% non artificialisés y étaient cinq fois plus riches que celles du champ voisin.
Les risques inondation ? Les plans locaux de prévention les anticipent déjà.
La création d’îlots de chaleur ? Problématique surtout de centres urbains.

On a plus artificialisé en 50 ans qu’au cours des 500 précédents. Logique ! La population métropolitaine française a crû de 70% en un siècle, et de 27% entre 1972 et 2022 (rappel : 14 millions de Français en 1500, 40 en 1900). L’artificialisation des 50 dernières années ne relève pas de la pathologie, mais de la dynamique démographique de la fin du XXe siècle.

Que disent les démographes ? La population devrait se stabiliser sur les 30 ans à venir… Le rythme de l’artificialisation décélère d’ailleurs beaucoup depuis dix ans.

Des externalités négatives ignorées
La ville doit donc se reconstruire sur elle-même. En Île-de-France et dans les grandes agglomérations françaises, les opérations d’aménagement dédiées à la production de logements et de bureaux sont toutes fléchées vers d’anciennes zones d’activités, sans se soucier des PME-PMI, industries, capacités logistiques présentes sur ces sites. L’objectif du futur Sdrif-E est de sacraliser 90 % des espaces initialement voués aux activités économiques. Quid des 10 % restants ? Où partir quand on libère des locaux à Saint-Denis ou à Saint-Ouen pour les Jeux olympiques de Paris, espaces à terme réaffectés au logement ?
Avec du foncier proche disponible, ces mouvements se faisaient naturellement. Demain, en limitant les solutions de réinstallation, on va créer un stress sur ce marché qui était équilibré. Les loyers augmentent déjà de 5 à 10% par an depuis cinq ans. On initie la crise du logement des entreprises. Pas celles du CAC40, mais des PME et ETI, premières pourvoyeuses d’emplois en France.
La solution serait les friches. Pourquoi ne pas y avoir pensé avant ?
Les reconvertir est nécessaire, mais ce réservoir foncier ne satisfera pas plus de 5 ou 10% de la demande. Les investissements induits (démolition, dépollution…) imposent de les commercialiser plus cher. Les entreprises pourront-elles payer ? D’autant que, sur tout terrain délaissé, la nature régénère vite une nouvelle biodiversité. Les opérateurs doivent donc appliquer la méthodologie « Éviter, réduire, compenser » à des coûts significatifs, et parfois pour une densification moindre.
Le must, ce sont les friches, avec la plupart du temps des habitats dits de milieux ouverts abritant des espèces faune et flore protégées. Par essence transitoire, cette biodiversité laisse place à d’autres espèces quand les arbres poussent et le milieu se « referme ». Mais comme la réglementation demande de maintenir la biodiversité identifiée à un instant T, on recourt à des compensations visant à gérer d’autres sites pour les conserver ouverts pendant 30 ans.

À vouloir défendre le naturel, on promeut le surnaturel, et ce, à coup de millions d’euros !

Une catastrophe pour l’économie
Si nous prônons tous la sobriété foncière, la démarche ZAN est une réponse démesurément agressive à une problématique… déjà révolue. Elle crée une concurrence entre les destinations. Pallier le manque de logements par la destruction de parcs d’entreprises est irrationnel.
Les nouvelles zones d’aménagement vont se développer au détriment des anciens parcs d’activités, industriels et logistiques. Premières victimes, les PME-PMI devront s’implanter dans des locaux plus chers et plus loin, augmentant leurs besoins en transports (déjà en partie saturés) et le trafic routier (avec ses émissions de CO2).
Au-delà de ses méfaits économiques et écologiques, la démarche a enraciné dans l’opinion le dogme « Construire, c’est mal », mettant en difficulté les rares élus locaux porteurs de projets de développement urbain et faisant exploser le nombre de recours. Voilà pourquoi de plus en plus d’élus la contestent : l’Association des maires de France a saisi le Conseil d’État, les Pays de la Loire demandent d’en réduire les objectifs, et l’Auvergne-Rhône-Alpes se retire du processus, le jugeant « ruralicide ». Aujourd’hui, nous « consommons » les terrains ouverts à l’urbanisation il y a dix ans, les problèmes se manifesteront dans une décennie. D’ici là, les documents d’urbanisme seront corsetés. Le retour en arrière sera long et difficile.
La transition écologique est nécessaire, nos ressources financières limitées, investissons-les intelligemment. »